Bon anniversaire, Rose!

La maison natale de Rose Ausländer à Czernowitz

https://www.swr.de/swr2/programm/sendungen/am-samstagnachmittag/gedichte-und-ihre-geschichte-ein-tag-im-exil-von-rose-auslaender/-/id=10710046/did=23987702/nid=10710046/1wcaewh/index.html

Die Familie 1905
La petite Rose, née Rosalie Scherzer, entre ses parents

Rose Ausländer est née le 11 mai 1901 en Bucovine, la patrie d’un autre grand poète juif de langue allemande, Paul Celan. Hasard ou coincidence, c’est aujourd’hui, le 11 mai 2019, que je commence ce blog autour de mon projet d’écriture et de voyage sur les traces de Rose…

À l’occasion de cet anniversaire, je poste donc un petit article qui avait été mis en ligne il y a quelques années sur le site du Printemps des Poètes. Et voilà, si les lecteurs souhaitent aller plus loin, le lien vers un mémoire que j’avais consacré à Rose en 2005:

http://www.sabineaussenac.com/cv/portfolios/document_rose-auslander-une-poetesse-juive-en-sursis-d-esperance

C’est un matin de 1995, à la bibliothèque du département d’Études Germaniques de l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, que je plongeais, par hasard ou par miracle, pour la première fois dans l’œuvre bouleversante de Rose Ausländer.

Le « Phénix de la Bucovine » était alors encore quasiment ignoré du monde universitaire français. Dans une Allemagne encore confrontée à ce « deuil impossible » de l’après-Shoah, la poétesse était essentiellement choyée et reconnue par la presse et le public, symbole de résilience, adulée pour sa survivance à la barbarie et pour son escapisme dans les arcanes d’une langue-refuge, aux accents de plus en plus célaniens. C’est donc bien autour de cette césure fondamentale du génocide et, par conséquent, autour de la problématique de la judaïté, que se noue le rapport passionné de Rose Ausländer et de son public allemand.

Elle est aujourd’hui enfin reconnue comme l’égale d’autres grandes poétesses juives de langue allemande, mais toujours ignorée du grand public français, et c’est dommage…

Lire Rose, c’est tout d’abord être aveuglé par l’empreinte de ce linceul lancinant de la Shoah, décryptant dans le suaire des mots, dans cet ossuaire testimonial, l’itinéraire ce cette « Juive errante qui n’eut qu’un seul espace, celui du verbe. Cependant, au fil de la découverte plus pointue de l’œuvre abondante de cette poétesse atypique, au gré de l’hétérogénéité de cette langue éclatée et polymorphe, allant de la célébration rilkéénne des débuts à l’indicible pneuma caractérisant les dernières productions poétiques, on en vient à comprendre le silence ausländerien, cette insoutenable légèreté de l’essence poétique d’une femme brisée, mais digne, d’une survivante chantant encore le lilas de l’enfance malgré « le lait noir de la mémoire ». C’est justement cet équilibre entre l’être et le néant, cette force de survivance qui sous-tend toute son œuvre : « Ecrire, c’était vivre. C’était survivre. »

L’anamnèse se fait naissance, la mimésis se muant en alliance fertile, comme en témoigne la présence symbolique de la thématique chromatique de l’arc-en-ciel. L’écriture devient pneuma, le verbe se fait vie. Rose Ausländer, poétesse juive en sursis d’espérance, plonge ses racines dans le terreau de la judaïté pour atteindre ces étoiles qui la guident envers et contre toutes les ténèbres.

La poésie devient Table de la Loi pour cette héritière vagabonde d’une Mitteleuropa perdue, pour celle qui, sans attache matérielle ou familiale aucune, ne posa ses valises que d’hôtel en hôtel, puis Mila, rite initiatique et rémanent intégrant l’individu au groupe social, à la tradition et au monde juif. La poésie, circoncision de l’âme, tel un acte d’allégeance qui permet un enracinement dans l’espérance et la confiance :

Ein Lied

erfinden

heißt

geborenwerden

und tapfer singen

von Geburt zu Geburt.

***

Inventer

un poème

signifie

être mis au monde

et courageusement chanter

d’une naissance à l’autre

Rose Ausländer, un jour, oubliera l’allemand. Elle mettra de longues années à recouvrer la vue et la parole, se réfugiant dans un exil linguistique anglais et /ou dans le silence, ne recommençant à fréquenter la langue de Goethe qu’en 1956, après ce deuil impossible de la Bucovine perdue, de la mère disparue, des 55000 juifs sacrifiés du ghetto de Czernowitz. Le souvenir des blasphèmes provoqués par la barbarie humaine taraude sa mémoire en mal de lumière :

Sie kamen

mit scharfen Fahnen und Pistolen

schossen alle Sterne und den Mond ab

damit kein Licht uns bliebe

damit kein Licht uns liebe

Da begruben wir die Sonne

Es war eine unendliche Sonnenfinsternis

***

Ils vinrent

avec des drapeaux aiguisés et des pistolets

exécutant toutes les étoiles et la lune

afin qu’aucune lumière ne nous demeure

afin qu’aucune lumière d’amour ne nous abreuve

Alors nous fîmes sépulture au soleil

Son éclipse devint éternité

Éternité d’une langue morte, de cette langue brune qui donnait l’ordre de mort, qui soudain ne pouvait plus exprimer les lilas de l’enfance ni les méandres du Pruth se confondant avec les circonvolutions de la Morariusgasse natale, éternité d’une rupture définitive entre l’être stellaire de la poétesse et le néant de la Shoah. La poétesse énucléée, mise au ban de toute vie, prononce vœu de silence et s’enferme dans un Carmel littéraire doloriste, incapable, de longues années durant, de jouer un autre rôle que celui de la petite fiancée de l’Amérique.

Pourtant, elle reviendra à la langue allemande, vers cette Ithaque retrouvée et délivrée. En plongeant au cœur même de la tourmente, en travaillant sur cette écriture qui la porte, en se colletant avec celle qui lui était devenue étrangère, elle dépassera l’orthorexie des écrits testimoniaux dédiés à l’holocauste pour atteindre l’humain, tout en transcendant les encorbellements parnassiens de sa jeunesse. Fidèle à son peuple à travers les liens vernaculaires qui l’unissent à son histoire, elle saura remodeler les mots, terre glaise d’une aube nouvelle dessinée à l’aulne de sa langue-souffle, inspirée par les césures célaniennes. Elle écrit « comme elle respire », avec la facilité d’une enfant chantonnant au soleil et la grâce d’une adolescente amoureuse, avec la majesté d’une femme libre et digne, grabataire décennale ne se départissant jamais de son humour. La vieille dame dialysée, qui produira l’ultime et magnifique recueil « Je compte les étoiles de mes mots, aimait à se moquer de la « poétesse aux perfusions ».

Ce sont là les trois accords de la valse ausländerienne, celle qui retentira entre la Mitteleuropa perdue et New York, de la Bucovine de l’enfance à Düsseldorf, avec ce rythme ternaire de louange, de doute et de résilience.

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Rose Ausländer, en 1922, avec son futur mari Ignaz Ausländer, aux Etats- Unis…

Schné Ensemble: « Schweigen II – Ich war ein Vogel » Lyrics by Rose Ausländer Music by Ingo Höricht Schné: Gesang Mariska Nijhof: Akkordeon und Gesang Matthias Schinkopf: Percussion Ingo Höricht: Gitarre Michael Berger: Piano David Jehn: Kontrabass StudioHire Tonstudio, Ottersberg Kamera 1: Jan Richter Kamera 2: Jasper Rother Kamera 3: Jannick Mayntz Audio Aufnahme und Mischung: Christian Mayntz Regie und Schnitt: Jannick Mayntz http://www.schne-ensemble.de

https://fr.wikipedia.org/wiki/Rose_Ausl%C3%A4nder